3. Acteurs ou personnages

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Dès le début, le roman-photo a eu son star-système, mais les rapports entre médium et star n’y sont pas ce qu’ils sont au cinéma (et de nos jours à la télévision). D’une part, le roman-photo permet à de jeunes actrices (il en va tout autrement pour les rôles masculins) de se faire connaître du monde du cinéma, puis de poursuivre leur carrière ailleurs: les exemples de Sofia Loren et de Gina Lollobrigida sont connus. D’autre part, dès les années soixante, le roman-photo va aussi faire appel aux vedettes du show-biz (et dans une moindre mesure du cinéma et de la télévision) dans l’espoir de regagner une partie de son public qui commence à bouder le genre au profit d’autres formes de publication.

Cependant, les rencontres parfois bruyantes du roman-photo et du monde des stars ne doivent pas faire oublier que la plupart du temps, le genre emploie des acteurs professionnels qui semblent faire la plus grande partie de leur carrière dans ce milieu-là. D’où, pour le lecteur de romans-photos, une double particularité: il voit revenir sans cesse les mêmes acteurs et ceux-ci vieillissent avec lui. Un bel exemple en est le fameux Claudio di Renzi, que les fidèles du roman-photo voient passer progressivement du rôle de jeune premier à celui de grand-père.

Au-delà de l’anecdote, on peut s’interroger sur cette singularité du retour des mêmes acteurs à des âges très différents de leur vie, mais dans des rôles qui changent en fonction de cet âge justement. (Entre parenthèses: il serait intéressant, et sans doute fort instructif, de lancer un jour une grande enquête sur la question de la différence d'âge à l’intérieur du couple et de comparer les résultats obtenus au cinéma, où le décalage entre l’homme et la femme ne cesse de se marquer, et au roman-photo, où l’égalité d’âge semble beaucoup plus être devenue la règle). Que signifie le fait que tel ou tel personnage, masculin surtout puisque les acteurs féminins tendent à utiliser le roman-photo comme tremplin vers autre chose, ‘migre’ sans arrêt d’un personnage à l’autre, tout en évoluant dans ses rôles fictionnels à mesure qu’on le voit vieillir? La première impression est sans conteste celle d’un considérable artifice: à l’instar du cinéma, mais à la différence du théâtre, l’acteur reste toujours très visible sous le rôle et vu le petit nombre d’acteurs impliqués dans la production industrielle du roman-photo, les effets de ce genre de retours deviennent vite quasi surréalistes. Comme à cela s’ajoute la restriction draconienne du nombre de ‘types’ dans la liste des personnages, qui bougent à peine d'un roman-photo à l’autre, la lecture d’un corpus photo-romanesque en vient à ressembler très vite à un film de Buñuel, familier, mais pour de tout autres raisons bien entendu, de ce genre de quiproquos (le même acteur revenant dans des rôles très différents, deux acteurs jouant le même rôle, etc.).

Cela dit, l’inquiétante familiarité que l’on retrouve jusqu’au cœur d'un genre aussi peu aventureux que le roman-photo nous apprend aussi quelque chose de fondamental sur l’économie narrative du médium. Visiblement, et sur ce point le roman-photo se sépare du cinéma pour se rapprocher du théâtre, c’est bien au rôle, c’est-à-dire au personnage, et non pas à l’acteur ou à la vedette que semblent devoir s’identifier les lecteurs. Les acteurs étant, toutes proportions gardées, parfaitement interchangeables, l’accent se met beaucoup plus sur le personnage qu’ils incarnent. De plus, peu est fait pour que ces acteurs soient individualisés, notamment en termes de costumes ou de sex-appeal. Après tout, c’est le visage qui compte, même si le reste du corps ne peut jamais être refoulé (c’est très net dans l’évolution de la représentation du corps masculin, de plus en plus jeune, de plus en plus body-buildé, de plus en plus influencé par un imaginaire discrètement gay). Tout le monde peut tout faire: être beau ou être laid, être bon ou méchant, et ce qu’on soit brune ou blonde, glabre ou moustachue. L’acteur et l’actrice du roman-photo sont avant tout transparents, ils s’effacent devant les besoins de l’intrigue dont ils sont le faire-valoir. Cela n’excluent nullement, du reste, le fétichisme local, et sur ce point le roman-photo dessert aussi bien ses lecteurs que ses lectrices.