1. Baisers, ruptures, disputes

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Comme l’a bien montré Peter Brooks, le mélodrame produit ses excès narratifs de manière progressive, à travers des scènes très visuelles: une suite d’images-repère qui servent à exhiber le déroulement du récit.

Le goût de l’image fixe et le caractère stéréotypé du geste proviennent de l’héritage du tableau théâtral, qui répondait à l’exigence du mélodrame de communiquer un message clair en représentant l’instant prégnant de la narration. Le genre a besoin de telles images qui restent dans la mémoire du spectateur. Des images où se dépose le récit et où l’on assiste à une mise en espace du temps psychologique des personnages, rendu visible par la posture et la place des protagonistes à l’intérieur d’un cadre. Un tel instant prégnant ne coïncide pas avec le point culminant de l’action mais il est capable de suggérer à la fois son début et sa fin, de manière à stimuler les inférences du spectateur.

Le mélodrame comme le roman-photo présentent souvent une femme déchirée entre Agapè (l’amour chrétien, le foyer domestique) et Éros (l’amour absolu, le désir sans fin), soit les deux versants de l’amour comme analysés par Denis de Rougemont. L’héroïne du roman-photo, héritière du roman-feuilleton le plus sombre, rêve avant tout d’une vie en famille et elle est prête à sacrifier ses propres rêves d’amour pour accéder à cet idéal. Mais Éros est toujours aux aguets, il surgit souvent du passé pour détruire l’équilibre familial et renverser le décorum d’Agapè à travers le cliché mélodramatique de la fête perturbée.

Les personnages féminins du roman-photo occuperont pendant de longues années tous les rôles qu’une société d’éthique catholique donne aux femmes: vierge vertueuse, mère de famille, nonne, femme perdue. Afin de conquérir et de définir son propre rôle, l’héroïne doit traverser une série de souffrances qui vont marquer à la fois son corps et son esprit. C’est par passion que l’héroïne cède aux instances de son fiancé, mais à la fin du récit elle sera de nouveau accueillie au sein de la famille ou elle ira au couvent, sublimant sa passion au nom d’une morale supérieure, pour reprendre encore les analyses de Denis de Rougemont.

L’iconographie d’Éros se concentre dans l’image de la fiancée, qui assume toutes les poses de la passion et de l’attente, dans un cadre bucolique, celui d’un éternel printemps. Le contraste est absolu avec la claustrophobie des couvents, des prisons ou des mers en tempête qui signifient la disparition ou le départ (momentanés) du partenaire. Toutefois, le thème de la séparation des amants affiche moins l’objet de l’amour que la passion telle qu’en elle-même et pour elle-même. Il est donc normal que le roman-photo se plaise à multiplier les obstacles à l’amour.

La figure qui donnera forme au pôle opposé d’Agapè est celle de l’épouse, mais aussi l’image contradictoire de la sainte Vierge, symbole sacré de la procréation et de la maternité. Un autre motif cher au mélodrame est la solidarité féminine, représentée souvent par l’iconographie catholique de la Visitation. Le sacrifice de l’héroïne, l’absence d’un amour au sein d’une famille copient les représentations de la Mater Dolorosa. Mais la douleur est interrompue avant l'effondrement total du personnage, comme il sied à l’esthétique du moment prégnant, et la fin du récit est placé, non sous le signe d’Éros mais d’Agapè, tel qu'on le voit dans l’iconographie de la Sainte Famille. L’enfant est la preuve de la sensualité maternelle et si aucun heureux événement n’a pas encore eu lieu, le récit fait déjà allusion aux enfants à venir (ou il introduit des personnages annexes ayant la même fonction, comme les cousins orphelins). Réadmise au sein de la famille, la femme pleure de joie, et ses larmes cathartiques (que l’on suppose être celles des lectrices aussi) sont à la fois signe de passion et désir d'amour romantique.