Dès La Place en 1983, les photographies n’ont pas cessé de prendre une importance croissante dans l’œuvre d’Annie Ernaux. Ce recours de plus en plus massif à la photo comme support ou point d’ancrage du récit correspond à la naissance puis au développement d’un projet esthétique singulier. Celui-ci se fonde sur le refus de la fiction pour élaborer peu à peu les codes d’une autobiographie impersonnelle « entre la littérature, la sociologie et l’histoire ».[1] Dans un entretien, Annie Ernaux confirme que : « À partir du moment où [elle a] refusé toute fiction, […] les photos sont devenues des pièces essentielles pour saisir et comprendre la réalité, des “signes objectifs” en effet, devenus indispensables d’un livre à l’autre ».[2]
Cependant, si l’insertion de photo dans l’écriture devient systématique à partir de 1983, elle se fait au moyen du dispositif de ‘l’ekphrasis notionnelle’, c’est-à-dire d’une « écriture photographique transformative »[3] qui fait de la photographie un texte. Ce changement de média privilégié par Annie Ernaux concourt à refréner la dimension du punctum, la relation personnelle et émotionnelle qui s’établit entre le regardeur et la photo, au profit des détails relevant du studium, c’est-à-dire des éléments socio-historiques et culturels qui viennent étayer son travail socio-littéraire. Il s’agit notamment de protéger le lecteur pour lui permettre de s’approprier intellectuellement le contenu photographique tout en échappant à la fascination de l’image :