L’œuvre contemporaine qui nous intéresse ici est au départ un exemple de « littérature exposée » telle qu’Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel l’ont théorisée : une littérature en scène, qui prend la forme de la performance et qui s’insère dans un dispositif de publication multimodal.[1] En 2010, le photographe et vidéaste Denis Cointe demande à Marie NDiaye d’écrire un texte destiné à être lu à voix haute et accompagné de musique et de photographies projetées sur le fond d’une scène. Il pensait enregistrer la voix de l’auteure ; finalement, elle sera présente sur scène. La performance s’intitule Die Dichte, expression allemande qu’on a pu traduire par ‘ la densité ’, ‘ l’épaisseur ’, ‘ la profondeur ’ et ‘ l’intensité ’, et qui nomme peut-être les différentes couches qui constituent ce projet intermédial et les interactions entre le visuel, le musical et le textuel. La performance est présentée ainsi : « un texte et une voix qui se déploient dans un espace visuel et sonore. Le lieu de cette rencontre : Berlin et les souvenirs ».[2] L’œuvre est composée à plusieurs : Marie NDiaye pour l’écriture et la lecture du texte, Denis Cointe pour les photographies et les musiciens Sébastien Capazza (pour la guitare et la basse) et Frédérick Cazau (pour les claviers et les ordinateurs). La performance est présentée à Bordeaux en 2011 puis en France et en Allemagne (avec des sous-titres allemands) en 2012. Mais ce n’est pas la seule forme de publication – d’exposition – que prend Die Dichte. A côté du spectacle, Denis Cointe réalise en 2012 un court-métrage avec le texte de Marie NDiaye[3] et la musique de Sébastien Capazza et Frédérik Cazau qui déploie plus d’images fixes et mobiles que la performance n’en déployait sur scène. En 2012 encore, le texte conçu pour être lu à voix haute se traduit aussi en une pièce radiophonique bilingue diffusée en Allemagne.[4] Puis l’œuvre continue encore sa vie sous une autre forme, numérique, sur le site de la compagnie Translation fondée par Denis Cointe qui demande à Sébastien Gazeau de concevoir une « feuille numérique » en rapport avec Die Dichte sur laquelle on trouve les photographies de Cointe, un enregistrement de la voix de NDiaye et des citations d’historiens de l’art et de philosophes ; pour Denis Cointe, cette feuille « sans destination précise, […] converse et chemine avec les autres » formes de l’œuvre.[5]